mercredi 28 janvier 2015

5 visages de The Wire



Sept ans après la fin de la série et alors qu’une version remastérisée est sur le point d’être disponible en Blu-Ray, je viens à mon tour de terminer ce chef d’œuvre incontournable qu’est The Wire. On m’avait prévenu que ça serait du très très haut niveau. On ne m’avait pas menti : la série compte assurément parmi les meilleures du monde. Je ne vais faire que répéter ce qui a été dit partout mais en effet, on a rarement vu de séries aussi bien écrites. Réaliste, complexe, déprimante, The Wire dresse un portrait pessimiste de la ville de Baltimore, de ses bas quartiers gangrénés par le traffic de drogue à sa mairie rongée par les luttes du pouvoir, en passant par ses docks étouffés par le chômage, ses écoles impuissantes et ses medias menteurs et racoleurs.
The Wire n’est pas une série qui détend. Et quiconque a vu la saison 4 (la meilleure) sait de quoi je parle. La société dépeinte par David Simon va mal et la loi de la jungle est globalement celle qui y fonctionne le mieux. Et pourtant, dans ce marasme social qui nous est présenté, les scénaristes réussissent la prouesse de nous présenter une galerie impressionnante de personnages subtils, attachants, cools. Voilà les cinq qui vont véritablement me manquer.
(Attention, SPOILERS)


Chez les flics, Lester Freamon : Jimmy McNulty est communément présenté à tort comme le personnage principal de la série. S’il est en effet la porte d’entrée du spectateur dans le monde complexe de la série, il n’est pas à mon sens le personnage le plus intéressant parmi tous les rôles de flics décrits ici. Ma préférence irait donc plutôt vers le doyen du groupe, Lester. Cousin pas si éloigné de Morgan ‘Summerset’ Freeman dans Seven, Freamon est un vieux loup de mer à qui on ne la fait plus. Il connait très bien son métier de détective mais il connait encore mieux les limites du système. Il n’a pas peur de se salir les mains et de faire les choses de façon pas toujours très réglo tant qu’il obtient des résultats. Son âge et son expérience lui ont fait renoncer à gravir les échelons. Lester Freamon est un flic de terrain, un vrai. Un de ceux qui font marcher leur cerveau avant leur flingue. Son charisme, son calme olympien et sa passion du modélisme en font l’un des personnages les plus emblématiques de la série.

Chez les toxicos, Reginald ‘Bubbs’ Cousins : assez peu représentés au court des cinq saisons, les toxicos sont pourtant les premières victimes consentantes des réseaux de drogue que la police de Baltimore tente de démanteler. Parmi eux, Bubbs est le seul qu’on suivra d’un bout à l’autre de la série. Quand on le découvre, Bubbs est déjà tombé bien bas. Sans être un mauvais bougre, il fait ce qu’il peut pour obtenir sa dose régulière, y compris devenir indic pour les flics. Mais son addiction le rend faible, vulnérable. Et comme il a bon fond, on a tôt fait de profiter de lui. On assiste ainsi à sa longue chute ; toujours plus bas, toujours plus misérable, Bubbs survit plus qu’il ne vit. L’énorme particularité de ce personnage, c’est qu’il fait partie des (trop) rares personnages de la série à s’en sortir. Au plus bas en fin de saison 4, la dernière saison sera celle de la rédemption. Et avec elle, celle de scènes particulièrement émouvantes.

Chez les dealers des rues, Preston ‘Bodie’ Broadus: à la différence du groupe précédent, la série a vu défiler un grand nombre de gamins pour distribuer la dope à chaque coin de rue de Baltimore. Il faut dire ce qui est, l’espérance de vie pour ces garçons n’est pas bien élevée, surtout qu’on n’a évidemment pas toujours affaire à des lumières dans un milieu qui, mine de rien, demande d’être sacrément intelligent pour survivre. L’un d’entre eux ressort du lot. Fidèle lieutenant du clan Barksdale dans les premières saisons, Bodie obéit. Il fait ce qu’on lui dit de faire et il le fait bien. Sans aller jusqu’à dire qu’il a une moralité irréprochable, Bodie a un grand sens de la loyauté. Il sait à qu’il doit d’être en vie et de gagner sa vie. Pas question de balancer, de trahir ou de se rebeller. Pas naïf pour autant, Bodie connait les limites du système. Il n’a juste pas les armes pour les combattre. Au mieux, il crache pour montrer son désaccord. Mais malgré tout, il reste loyal. Or dans les rues de Baltimore, la loyauté n’a pas grande valeur. Et malgré son respect de la hiérarchie, le changement de patron lors de la saison 4 va sceller son destin. Pire, l’étonnant respect mutuel qu’il a mis en place entre lui et la police lui coutera finalement la vie. Sans conteste la mort la plus triste de la série selon moi.

Chez les trafiquants, Russel ‘Stringer’ Bell : il fallait bien le charisme d’Idris Elba pour incarner avec autant de puissance le personnage du (fidèle ?) lieutenant d’Avon Barksdale, l’ennemi public numéro 1 des premières saisons. Intelligent, calme mais autoritaire et intransigeant, Stringer Bell tire les ficelles dans l’ombre tout en laissant à son pote Avon le loisir de penser qu’il n’est que numéro 2. Pourtant c’est bien Stringer qui prend les rênes du business lorsque la majorité du clan est mise au trou. Et c’est lui qui tente de donner une autre dimension au trafic en impliquant les politiques à ses combines, avec plus ou moins de succès. Mais le défaut premier de Stringer Bell, c’est la folie des grandeurs. Voulant être calife à la place du calife, il n’a pas su s’arrêter à temps. Et ça lui est naturellement fatal. Si la mort de Bodie est la plus touchante, celle de Stringer Bell est la plus choquante : elle arrive en fin de saison 3, de façon assez inattendue. Et le spectateur lambda de se demander comment la série va pouvoir perdurer sans l’un de ses piliers porteurs.

Et Omar Little : personnage hors norme, inclassable, génial. Bandit solitaire, Omar suit un code très précis : il ne vole qu’aux bad guys, il ne tue jamais le dimanche, il ne s’en prend pas à la famille de ses ennemis. Sauf si on attaque ses protégés. Et ils sont peu nombreux. Faut dire qu’il n’est pas facile de s’intégrer dans cette société hyper violente, hyper machiste quand on est homosexuel. Alors Omar vit reclus, avec son mec et quelques rares amis ; il ne sort dans les rues que lorsque c’est réellement nécessaire à sa survie. Tireur implacable, braqueur de génie, Omar fait fuir tout le monde. Les gamins rêvent de copier son look quasi-iconique avec sa cicatrice, sa gabardine et son fusil à pompe. Ses ennemis osent tout juste se moquer de son orientation sexuelle tellement sa réputation fait peur. Mais finalement, Omar reste très seul. Et ça n’est jamais très bon dans bas quartiers de Baltimore : Omar finit plus bas que tout, oublié de tous. Son meurtrier est un môme de huit ans. Sa mort ne mérite même pas un encart dans le journal local. Tragique fin pour ce véritable Ronin des temps modernes.


Voilà donc, pour moi, les cinq personnages incontournables de The Wire. J’aurais pu y rajouter Ellis Carver, bogosse incroyablement touchant en saison 4 quand il tente de sortir un gamin des rues, Kima Greggs, la flic plus tough que ses homologues masculins, ou encore Pryzbylewski, ce loser bien moins raté qu’il n’y parait. J’aurais encore pu citer Bunk et ses cigares légendaires, Snoop et son accent improbable, Michael et son p’tit frère Bug ou Clay Davis et ses « Shiiiiit » interminables. J’aurais pu les citer tous, un par un, tellement chaque personnage de la série est magnifiquement écrit et interprété.
C’est le génie de The Wire : une galerie immense de personnages qui se croisent, s’entrechoquent et interagissent avec tous, sans même le savoir. Un engrenage terrifiant, une machine parfaitement huilée, imperturbable, qui broie un certain nombre d’éléments sur son passage. Un chef d‘œuvre Dickensien.


PS: en bonus, mon classement des saisons (toutes vraiment très très réussies): 4, 3, 1, 5, 2.